- Article publié sur le site:
- Auteur de l'article: Elisabeth STELLA ROUSSEAU
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Noël.
Ce mot seul évoque des lumières chaleureuses, des rires d’enfants, des tables généreuses, des retrouvailles attendues.
Et pourtant… pour beaucoup, Noël est tout sauf apaisant.
Selon un sondage Elabe relayé par RMC/BFMTV, près d’un Français sur deux se dit stressé à l’approche des fêtes de Noël, et un tiers avoue même redouter cette période.
L’article parle d’une « injonction au bonheur », d’une pression sociale forte à être heureux, à aimer Noël, à réussir son Noël — quitte à se sentir profondément en décalage quand ce n’est pas le cas.
Et si ce stress n’était pas une anomalie… mais un signal ?
On parle souvent du stress de Noël comme d’un problème d’organisation :
les cadeaux, le budget, les repas, les trajets.
Mais en réalité, le stress de Noël est rarement logistique.
Il est relationnel, émotionnel, symbolique.
Noël agit comme un révélateur :
des tensions familiales jamais réglées,
des rapports de pouvoir anciens,
des blessures d’enfance encore ouvertes,
des attentes implicites impossibles à satisfaire.
Et parfois, ce stress prend racine très loin.
Enfant, Noël n’était pas une parenthèse enchantée.
Mes parents travaillaient dans leur hôtel-restaurant. Ils ne fermaient pas. Jamais.
Noël devait aller vite.
Très vite.
Tout était expédié :
le repas, les cadeaux, les échanges…
comme s’il fallait que ce moment dure le moins longtemps possible.
Je n’ai pas connu cette attente fébrile de la nuit de Noël,
ni cette impression que le temps s’arrête,
ni cette magie silencieuse qui fait briller les yeux des enfants.
Jeune adulte, Noël a changé de forme.
Il est devenu un jeu de pouvoir.
Habitant à plus de 1000 km de mes parents, je refusais de faire la route.
Je les invitais chez moi.
Pas par générosité… mais pour les obliger à faire la démarche.
Pour voir s’ils seraient capables d’être réellement présents.
Parfois, ils venaient.
Parfois, ils ne venaient pas.
Et cette incertitude faisait déjà partie du jeu.
Venir ou ne pas venir devenait un message en soi.
Une manière de garder la main, de rappeler qui décide, qui fait l’effort… ou pas.
Ma sœur, elle aussi, jouait à sa façon ce même jeu de pouvoir.
Il y avait les tensions autour du repas.
Quand elle passait derrière les fourneaux à la place de ma mère.
Quand elle osait déroger au “traditionnel” repas de Noël, en proposant autre chose, autrement.
Ce qui aurait pu être une initiative joyeuse devenait un affront.
Chaque initiative devenait une transgression.
Chaque nouveauté, une menace.
Comme si changer un menu, c’était remettre en cause une hiérarchie invisible.
Comme si Noël ne supportait aucune liberté.
Et puis il y avait les cadeaux.
Le déballage des cadeaux était rarement un moment joyeux.
Toujours une remarque.
Toujours une critique.
« Les enfants sont bien trop gâtés. »
Et puis, il y avait ce fameux chèque.
Donné presque systématiquement.
« Comme ça, vous ne serez pas déçus. »
Mais avec le temps, j’ai compris autre chose.
Un article publié sur MSN pose une question dérangeante :
pourquoi offrir de l’argent à Noël est plus problématique qu’il n’y paraît ?
👉 Source :
MSN – Offrir de l’argent à Noël : pourquoi ce geste est plus problématique qu’il n’y paraît
Parce que le chèque, ce n’est pas seulement pratique.
C’est souvent une absence d’intention.
Offrir de l’argent, c’est :
rapide,
impersonnel,
émotionnellement neutre.
C’est ne pas prendre le temps de se demander :
👉 Qu’est-ce qui lui ferait vraiment plaisir ?
👉 Qu’est-ce qui lui ressemble ?
Or, dans le cadeau, il n’y a pas que l’objet.
Il y a l’attention, l’écoute, le lien.
Quand on connaît son entourage, quand on prend le temps de sonder, d’observer, de questionner…
on ne se trompe presque jamais.
Mais encore faut-il prendre ce temps.
Plus tard, invitée dans d’autres familles, j’ai compris.
Il y avait bel et bien un problème.
Chez les autres :
un grand-père déguisé en Père Noël,
des enfants émerveillés,
un feu d’artifice improvisé,
une magie qui commençait bien avant Noël, dès la recherche du cadeau idéal.
Chez nous, tout semblait prétexte à maintenir une relation de pouvoir.
Là où ailleurs, Noël était un espace de joie partagée.
Alors oui, je comprends profondément toutes ces personnes qui stressent à l’approche de Noël.
Parce que Noël :
ravive les blessures,
met en lumière ce qui ne fonctionne pas,
oblige à jouer un rôle qu’on n’a plus envie d’endosser.
L’injonction au bonheur dénoncée par RMC/BFMTV est violente pour celles et ceux qui n’ont jamais connu un Noël doux, sécurisant, aimant.
Aujourd’hui, j’ai fait un choix clair.
Je passe Noël avec ma vraie famille :
celle que j’ai créée — mon mari et mes enfants.
Et surtout, je fais tout pour ne pas reproduire ce que j’ai vécu enfant.
Je consulte tout le monde pour le repas de Noël.
Je questionne longtemps à l’avance sur les cadeaux souhaités.
Quand le budget est serré, j’anticipe : j’économise, j’étale les achats, je vends ce qui ne sert plus sur Le Bon Coin.
Parce que faire plaisir n’est pas une question d’argent.
C’est une question d’intention.
Et la partie toxique ?
Je m’en suis éloignée.
Non par vengeance.
Mais par protection.
Les jeux de pouvoir malsains génèrent un stress inutile
et gâchent ce moment unique de l’année
où l’on devrait simplement avoir du plaisir à se retrouver.
Et enfin, une pensée sincère pour celles et ceux qui passent Noël seuls.
Par choix ou par contrainte.
Par protection ou par circonstance.
Être seul à Noël ne veut pas dire être en échec.
Parfois, c’est même un acte de lucidité.
Un refus de se faire violence.
Une manière de se respecter.
Si c’est votre cas cette année, voici quelques idées — sans obligation, à piocher librement :
Créer votre propre rituel, même simple : un plat que vous aimez, une bougie, une musique qui vous apaise. Noël n’a pas besoin d’être spectaculaire pour être doux.
Redonner du sens au moment en écrivant : une lettre que vous ne posterez peut-être jamais, un bilan de l’année, ou simplement trois choses pour lesquelles vous êtes reconnaissant·e.
Offrir votre présence ailleurs : maraudes, associations, appels téléphoniques solidaires. Donner du temps crée souvent plus de chaleur que recevoir.
Vous relier autrement : un appel à une personne isolée, un message à quelqu’un qui compte, même s’il ne fait pas partie de votre famille biologique.
Faire quelque chose de symbolique : une promenade nocturne, regarder un film réconfortant, lire, méditer, écouter une histoire.
Vous autoriser la douceur : se coucher tôt, ne rien faire, pleurer si besoin. Noël n’est pas une performance émotionnelle.
Noël peut aussi être cela :
un moment à soi,
hors des normes,
loin des attentes,
proche de ce qui vous fait du bien.
Et peut-être que la vraie magie de Noël commence là :
quand on s’autorise enfin à vivre cette fête à sa manière. ✨